Médecine, santé et société

Les légumes à la loupe : S comme Salsifis

Une saison... 23 Jan 2012

Histoire

Très longtemps, les racines de diverses plantes sauvages de la famille des astéracées, fournirent à l’homme d’agréables aliments. Au nombre de celles-ci, il faut compter, le salsifis et la scorsonère, deux végétaux bien distincts, indigènes en Europe et notamment dans les pays méridionaux.

On ne sait si les anciens ramassaient déjà les racines des salsifis des prés (dont les graines, surmontées d’aigrettes soyeuses lui ont donné le nom, latin, de Tragopogon, « barbe de bouc »). Ce sont les Italiens qui introduirent à la Renaissance, ce « sercifis », dont les longues racines fuselées connurent alors un rapide succès.

Olivier de Serres, surintendant général des Jardins de France sous Henri IV, fut le premier à recommander sa culture dans son ouvrage, Théâtre de l’agriculture, au 16ème siècle.

Engouement rapide... et bref, car le salsifis fut vite concurrencé par la scorsonère, venue d’Espagne, au XVIIème siècle. Celle-ci offrait une telle similitude de goût (avec un surplus d’excellence jugent certains) et de texture qu’elle se confondit vite avec le salsifis.

Et aujourd’hui encore, lorsque l’on parle de salsifis, c’est bien de scorsonères qu’il s’agit.

Production

Si les particuliers font encore pousser quelques salsifis dans leur jardin, seule la scorsonère fait l’objet d’une culture commerciale, essentiellement destiné à la transformation (conserverie, surgélation).

On cultive les salsifis et les scorsonères dans les terrains sableux du nord de la Picardie et du Loiret. Ces racines, très rustiques, aiment les sols profonds, frais et humides. La Belgique et les Pays-Bas en sont ainsi les principaux producteurs européens. On récolte le salsifis pendant l’hiver. Très peu consommé frais, il connaît plus de succès en conserve et en surgelé même si dans l’en-semble, il reste très peu fréquent dans nos assiettes.

La scorsonère (Scorzonera hispanica) est une plante vivace dont la fleur jaune émerge d’un bouquet de longues feuilles. Ce toupet feuillu surmonte une racine cylindrique, très allongée (elle peut atteindre 30 cm de long) dont l’écorce noire recouvre une chair blanc crème. La gamme variétale de ce légume reste très réduite. Les quelques cultivars actuels (Géante westlandia, duplex, Donia) dérivent de l’ancienne variété Géante noire de Russie. Sa culture, difficile, est surtout dépendante de la qualité des sols qui ne doivent pas être trop caillouteux.

Les principales caractéristiques

Le salsifis vrai (Tragopogon porrifolius) est beaucoup plus rarement consommé que la scorsonère (Scorzonera hispanica), appelée souvent salsifis noir en raison de la teinte de la peau qui recouvre sa racine, la partie comestible. Le salsifis vrai apparaît en effet de couleur jaune ivoire, alors que la scorsonère est recouverte d’une couche brun-noir. La scorsonère est aussi moins fibreuse, plus charnue, et d’un meilleur rendement. Ce qui explique qu’aujourd’hui, la plupart des salsifis que l’on trouve sur le marché soient des... scorsonères !

Le salsifis évoqué dans cet article est donc le salsifis noir ou scorsonère

Le salsifis noir, comme la plupart des légumes racines (carotte, betterave, navet), est riche en glucides, accumulés durant toute la croissance de la plante : il en renferme environ 15 g aux 100 g. Mais une fraction importante de ces glucides est constituée par de l’inuline, un polymère du fructose, qui ne peut être hydrolysé et absorbé dans l’intestin grêle, comme c’est le cas pour les autres glucides : il est simplement dégradé en partie dans le côlon. La valeur énergétique de l’inuline est donc très faible, voire nulle, c’est pourquoi ce glucide n’est pas pris en compte dans le total calorique du salsifis. Le saccharose, le stachyose et le raffinose représentent l’essentiel des autres glucides du salsifis (le fructose et le mannitol n’y sont présents qu’en très faibles quantités), soit environ 5 g aux 100 g.

Les protéines (1,4 g aux 100 g) et les lipides (0,4 g) fournissent le reste du total énergétique.

Avec un apport de 30 KCalories (125 KJoules) aux 100 g, le salsifis se situe parmi les légumes frais moyennement caloriques.

Les fibres sont abondantes (4 g aux 100 g), et constituées en partie par de la cellulose et des hémicelluloses, et en partie par des pectines qui donnent au salsifis sa consistance moelleuse après cuisson.

Le salsifis renferme de nombreux minéraux et oligo-éléments. La teneur en potassium est élevée (320 mg aux 100 g), comme c’est le cas dans la plupart des végétaux. Mais il faut noter ses apports intéressants en calcium (plus de 50 mg, ce qui est une teneur appréciable pour un légume frais), en magnésium (23 mg) et en fer (1,2 mg), et la présence de manganèse (0,4 mg), de cuivre (0,30 mg) et de zinc (0,22 mg) en quantités non négligeables.

Il est aussi largement pourvu en vitamines bien diversifiées, notamment en vitamine E (3 mg aux 100 g, ce qui constitue un taux élevé), et en vitamines du groupe B (la vitamine B3 atteint 0,35 mg, la B6 : 0,14 mg, et la B1 : 0,11 mg). Sa teneur en vitamine C reste modeste, comme c’est habituellement le cas pour les légumes racines (4 mg aux 100 g, et 3 mg après cuisson). Quant à la provitamine A (ou carotène), elle n’existe qu’à l’état de trace, ce qui est logique pour un végétal non coloré.

L’intérêt nutritionnel et diététique

Un légume de diversification

Le salsifis constitue un légume de diversification apprécié pour sa saveur et sa grande finesse. Pour le déguster tendre et bien moelleux, il est conseillé de le choisir jeune, donc d’assez petites dimensions. Grâce à sa « discrétion » énergétique, il peut figurer dans les menus des convives qui surveillent leur ligne. Pour l’accommoder sans risque d’excès de calories, il suffit d’un peu de jus de viande dégraissé, ou d’une cuillerée de crème fraîche additionnée de cerfeuil et de ciboulette : c’est aussi délicieux que léger. Une portion de 150 g net de salsifis (ce qui est suffisant déjà pour satisfaire l’appétit) n’apporte alors pas plus de 55 à 60 KCalories : 45 KCalories pour les salsifis eux-mêmes, et le reste pour l’assaisonnement.

Des apports nutritionnels variés

Le salsifis représente une source de minéraux intéressante. Avec une portion de 150 g de salsifis, on reçoit 0,60 mg de manganèse, soit 15 % de l’Apport Journalier Recommandé (AJR) : le manganèse active de nombreux systèmes enzymatiques, et est impliqué dans la formation du cartilage osseux et dans le métabolisme du cholestérol. Cette portion de salsifis fournit aussi 35 mg de magnésium, ce qui représente 10 % de l’AJR : appréciable, dans la mesure où il est souvent difficile d’assurer la couverture du besoin en magnésium (un oligo-élément indispensable au bon équilibre neuromusculaire). Et 80 mg de calcium, c’est-àdire près de 9 % de l’AJR. Les salsifis, en tant que légumes frais, constituent une source non négligeable de calcium dans l’alimentation (en effet, les produits laitiers fournissant entre 65 et 75 % du calcium alimentaire total, le reste doit donc être apporté par les autres aliments, notamment ceux d’origine végétale).

Les salsifis peuvent aussi contribuer utilement à la couverture du besoin vitaminique, puisqu’une portion de 150 g représente 10 % de l’AJR pour la vitamine B6, 12 % de l’AJR pour la vitamine B1, et 37 % de l’AJR pour la vitamine E.

Des glucides originaux

Dans le salsifis, les glucides (qui constituent les substances de réserve de la plante) sont vraiment originaux.

  • L’inuline, un fructosane de structure complexe, est formé de nombreuses molécules de bêta fructose. C’est le sucre de réserve typique des légumes de la famille des composés (topinambours, cardons, artichauts, et bien entendu salsifis), auxquels il donne une saveur un peu sucrée très caractéristique. L’inuline agit d’ailleurs de façon paradoxale sur les récepteurs du goût sucré de la langue : lorsqu’on boit de l’eau après avoir mangé des salsifis (ou tout légume riche en inuline), elle paraît sucrée.
  • Le stachyose est un tétrasaccharide formé par la combinaison de deux molécules de galactose, d’une molécule de glucose et d’ une de fructose. Il est présent non seulement dans le salsifis, mais aussi dans le crosne (Stachys tuberifera, d’où sa dénomination) et surtout dans les graines de légumineuses (pois chiche, haricot, lentille, fève, soja).
  • Le raffinose est un trisaccharide (combinaison de molécules de galactose, glucose et fructose), qui a la particularité de ne pas posséder de saveur sucrée, et qui est aussi présent dans les graines de légumineuses.
  • Le mannitol est un sucre-alcool à 6 atomes de carbone, de formule brute C6H14O6. Sa saveur est nettement sucrée. On le trouve en petites quantités non seulement dans le salsifis, mais aussi dans la betterave, l’as-perge, le céleri et certains champignons.

Dégustation

Choisissez-le bien ferme, c’est un gage de fraîcheur. Préférez-le plutôt fin car cela si-gnifie qu’il est plus jeune, et donc plus tendre. Trop gros, il sera creux au centre et fibreux. Sachez que les salsifis noirs possèdent une chair moins fibreuse et plus charnue que les variétés jaunes. Prenez aussi en compte, lors de l’achat, le fait que l’épluchage fait perdre 40 % du poids total des légumes.

Conservez-le quelques jours dans le bac à légumes du réfrigérateur, enveloppé dans un papier absorbant. Pelez les salsifis avec des gants car ils noircissent les mains et plongez-les ensuite rapidement dans l’eau. Égouttez-les et coupez-les en tronçons de 5 à 6 cm de longueur, avant de les blanchir. Fastidieux à peler et longs à cuire, ne vous laissez pas décourager : vous pouvez les acheter en con-serve, ou mieux encore, surgelés.

Consommez-le froid, coupé en tronçons, accompagné d’une sauce légère (crème fraîche aux herbes par exemple). Il se déguste aussi nappé de mayonnaise. Les olives noires, le jambon cru et les anchois se marient assez bien avec son goût fin et sucré, rappelant l’artichaut.

Chaud, cuit en cocotte dans du jus de viande dégraissé, il constitue une garniture parfaite pour les viandes blanches, notamment le veau et l’agneau ainsi que les poissons blancs. On peut aussi le faire sauter à la poêle et l’assaisonner d’une persillade. Ou encore le laisser cuire à l’étuvée, dans un mélange d’ail et d’oignons revenus et, pourquoi pas, de tomates et de champignons. Il peut être glacé, comme la carotte ou les oignons grelots.

Il se prépare également en gratin, recouvert de fromage et/ou de béchamel. Blanchis, les salsifis sont délicieux incorporés à des soupes et des ragoûts. Ils permettent aussi de réaliser des beignets délicieux, trempés dans une pâte à frire. Enfin, ce petit légume racine aime les produits de luxe : les truffes et le safran sont deux de ses meilleures alliances.