Médecine, santé et société

Le sens du goût

Gros plan sur... 23 Jan 2012

Lorsque vous mordez dans un délicieux bonbon au chocolat, quelles sensations éprouvez-vous ? D’abord, le mou, le sucré et le crémeux. Vous sentez ensuite la légère amertume du chocolat lorsque vous fermez la bouche et que son arôme envahit vos cavités nasales. C’est quand nous sommes enrhumés, que nous mesurons combien les odeurs représentent une composante importante de la saveur.

La saveur est un mélange complexe d’informations sensorielles du goût (la gustation), de l’odeur (l’olfaction) et du sens tactile activé lors de la mastication. Bien que le mot goût désigne fréquemment la saveur, le terme ne s’applique au sens strict qu’aux sensations reçues par les cellules gustatives de la bouche. La perception gustative humaine a longtemps été décrite au moyen de quatre qualificatifs : salé, acide, sucré et amer. Toutefois, certains ont proposé l’existence d’un cinquième, 1’umami, d’un mot japonais qui signifie délicieux et désigne la sensation produite par le glutamate, l’un des 20 acides aminés qui composent les protéines. Sous sa forme sodique, le glutamate est également un agent de sapidité, c’est-à-dire qu’il accroît la sensibilité des récepteurs gustatifs. Néanmoins, le goût est un sens plus complexe que la simple combinaison de ces catégories fondamentales.

Les mécanismes du goût ont été progressivement élucidés au cours des dernières années. Ainsi, les neurobiologistes ont identifié des protéines qui participent à la détection des substances sucrées et amères par les cellules gustatives. Ces protéines ressemblent à certaines protéines de la vision. Puis on a montré que certains neurones réagissent à plusieurs types de signaux gustatifs, de la même façon que les cellules rétiniennes sont sensibles à plusieurs couleurs. Ces résultats améliorent notre compréhension de l’un des sens que l’on comprend encore le moins bien.

Les détecteurs gustatifs

Les cellules sensorielles sont localisées dans des structures spécialisées, nommées bourgeons gustatifs, situées surtout sur la langue et sur le voile du palais. Sur la langue, la majorité de ces bourgeons sont regroupés dans les papilles, les petites granulosités qui donnent à la langue son aspect rugueux.

Toutefois, les papilles de la langue les plus nombreuses, les papilles filiformes, ne contiennent pas de bourgeons gustatifs : elles sont responsables des sensations tactiles. Parmi celles qui contiennent des bourgeons gustatifs, les papilles fongiformes (en forme de champignon) de la partie antérieure de la langue sont les plus visibles : elles contiennent un ou plusieurs bourgeons et ressemblent à des points rosâtres répartis sur le bord de la langue ; elles ressortent particulièrement bien sur la langue quand on a bu un verre de lait (il dépose un film blanchâtre qui augmente le contraste). À l’arrière de la langue, disposées en un « V » inversé, une dizaine de papilles de plus grande taille, nommées caliciformes, contiennent également des bourgeons gustatifs.

Enfin, on trouve aussi des bourgeons gustatifs dans les papilles foliées, en forme de feuille, qui forment de petites tranchées sur les côtés de la région postérieure de la langue.

Les bourgeons du goût sont des amas sphériques, en forme d’oignons, qui contiennent entre 50 et 100 cellules gustatives : au sommet de chacune, de fines projections, nommées microvillosités, font saillie à travers un pore gustatif, une ouverture à la surface du bourgeon du goût. Les substances contenues dans la nourriture ingérée (les substances sapides) se dissolvent dans la salive et interagissent alors avec les cellules gustatives, plus précisément avec deux types de protéines de la surface de ces cellules : les premières sont des récepteurs gustatifs, les secondes des pores nommés canaux ioniques.

À l’intérieur des cellules gustatives, ces interactions modifient les concentrations des atomes chargés électriquement, des ions. Comme dans les neurones, les ions ont des concentrations différentes de part et d’autre de la membrane des cellules gustatives. Cette différence de concentration en ions impose une différence de potentiel : la charge interne résultante est négative, tandis que la charge externe est positive. Les substances sapides modifient cet état en augmentant la concentration en ions positifs à l’intérieur des cellules gustatives : la différence de potentiel diminue. En raison de cette dépolarisation, les cellules gustatives libèrent des neurotransmetteurs vers les neurones qui entourent la base des cellules gustatives ; ces neurones captent les neurotransmetteurs, ce qui crée des signaux électriques, propagés, via plusieurs relais, jusqu’au cerveau.

Toutefois, diverses expériences ont montré que les substances chimiques, notamment amères et sucrées, n’ont pas toujours des qualités gustatives spécifiques : les sucres, par exemple, n’ont pas tous un goût... sucré. De plus, le goût sucré est parfois dû à d’autres types de substances, tels le chloroforme ou les deux édulcorants de synthèse, l’aspartame et la saccharine (le premier est un petit peptide, le second est un dérivé du toluène), dont les formules chimiques n’ont rien de commun avec celles des sucres.

Les composés qui ont un goût salé ou acide sont moins variés et sont souvent des ions. De tels composés agissent directement sur les canaux ioniques, tandis que les agents sucrés et amers se lient à des récepteurs de surface qui, via une cascade de réactions biochimiques à l’intérieur des cellules gustatives, déclenchent l’ouverture ou la fermeture de canaux ioniques. En 1992, on a identifié un élément clef de cette cascade, la gustducine, nommée ainsi par analogie avec la transducine, une protéine des récepteurs rétiniens qui participe à la conversion, ou transduction, des signaux lumineux en signaux électriques.

La gustducine et la transducine sont des protéines G (l’activité de ces protéines est commandée par la guanosine triphosphate). Ces deux molécules sont associées à de nombreux types de protéines réceptrices de surface et forment un complexe qui traverse la membrane cellulaire. Lorsqu’une molécule sapide se lie au récepteur de surface d’une cellule gustative, à la façon d’une clef dans une serrure, les sous-unités de la gustducine se dissocient dans la cellule : les réactions qui suivent aboutissent à l’ouverture ou à la fermeture de canaux ioniques, ce qui entraîne une augmentation des charges positives à l’intérieur de la cellule.

En 1996, grâce à des souris génétiquement modifiées dépourvues de l’une des trois sous-unités de la gustducine, on a montré que cette substance est indispensable à la perception des goûts amers et sucrés. Contrairement aux souris normales, ces souris modifiées ne préfèrent pas les aliments sucrés et n’évitent pas les substances amères. Par ailleurs, chez ces souris dépourvues de gustducine, les nerfs principaux du goût sont peu activés par les agents sucrés et amers, mais les réactions aux composés acides et salés restent inchangées.

En 2000, les groupes de Charles Zuker, à l’Université de San Diego, et de Linda Buck, à l’Université Harvard, notamment, ont identifié, chez la souris et chez l’homme, les récepteurs des substances amères qui activent la gustducine. Ces récepteurs, dits T2R/TRB, appartiennent à une famille d’une cinquantaine (au moins) de composés. Des cellules en culture, où l’on a introduit les gènes mT2R5 et mT2R8 qui codent deux de ces récepteurs, sont activées par deux composés amers. D’autres expériences ont confirmé le rôle des récepteurs T2R dans la détection des substances amères : chez certaines souris, une version particulière du gène mt2r5 est liée à la sensation d’amertume conférée par l’antibiotique cycloheximide.

On n’a pas encore identifié les récepteurs du goût sucré. En 1998, Nirupa Chaudhari et Stephen Roper, de l’Université de Miami, ont identifié, chez le rat, un récepteur qui se lierait au glutamate. Ce récepteur serait responsable de la saveur umami. Cependant, la saveur umami n’est pas encore reconnue comme le cinquième goût fondamental. Le glutamate correspond peut-être à une sensation gustative particulière, mais, jusqu’à présent, seuls les Japonais ont un mot pour la désigner.

Hum, délicieux ! Pouah, immangeable !

L’information sensorielle reçue par les cellules gustatives nous aide à réagir correctement face à la nourriture. Ainsi, le goût sucré des hydrates de carbone stimule l’envie d’en consommer. Les informations gustatives déclenchent aussi des réactions physiologiques adaptées, telle la libération d’insuline, l’hormone qui diminue la quantité de glucose dans le sang. Ces réactions préparent l’organisme à utiliser au mieux les nutriments. « Instinctivement », l’homme ou l’animal qui a un déficit de sodium recherche des aliments riches en sodium. Des études ont également montré que les personnes et les animaux qui ont des carences alimentaires mangent préférentiellement des aliments riches en vitamines et en sels minéraux.

Si l’on doit éviter les carences alimentaires, on doit aussi s’abstenir de consommer des substances dangereuses. Les animaux, et les êtres humains, rejettent souvent les substances au goût acide ou amer, sauf celles dont l’acidité est peu marquée.

Les composés toxiques, tels la strychnine et d’autres alcaloïdes végétaux, ont souvent un goût très amer, donc dangereux. Par ailleurs, de nombreuses plantes ont acquis la capacité de produire des substances amères qui, sans être toxiques, repoussent leurs prédateurs animaux dégoûtés. Par ailleurs, les aliments périmés, donc dangereux, ont souvent un goût acide.

Les réactions de plaisir et de dégoût déclenchées par les substances sucrées et amères se manifestent dès la naissance et résulteraient de connexions neuronales avec le tronc cérébral. Les animaux dont on a déconnecté les hémisphères cérébraux expriment pourtant du plaisir et du dégoût lorsqu’on leur donne à manger des substances sucrées ou amères.

Le lien entre saveur et plaisir, ou déplaisir, est à la base de l’apprentissage de l’aversion alimentaire : les animaux et les êtres humains apprennent rapidement à éviter un aliment lorsque son ingestion est associée à des troubles gastro-intestinaux (et la mémoire de la répulsion persiste longtemps).

La perte d’appétit est un effet secondaire fréquent des traitements anticancéreux par radiothérapie ou par chimiothérapie ; elle résulte des troubles gastro-intestinaux dus à ces traitements.

Par ailleurs, ce mécanisme rend difficile la conception d’un poison contre les rats, notamment, car ces animaux associent très facilement de nouveaux agents sapides à leurs conséquences physiologiques.

Des saveurs aux cellules

Les saveurs que le cerveau interprète comme salées, acides, sucrées, amères et, peut-être, umami, sont enregistrées sous forme d’une série de réactions chimiques qui se déroulent dans les cellules des bourgeons gustatifs. Les cinq voies biochimiques sous-jacentes à chacune des cinq qualités sapides sont décrites ici dans des cellules séparées, mais c’est uniquement pour des besoins de clarté. En réalité, toutes les cellules gustatives sont sensibles à plusieurs types de stimulus sapides.

Les sels, tel le chlorure de sodium, sont perçus par les cellules gustatives lorsque les ions sodium (Na+) traversent les canaux ioniques des microvillosités du sommet de la cellule (les ions sodium pénètrent également par des canaux situés sur le côté de la partie inférieure de la cellule). L’accumulation d’ions sodium modifie l’état électrochimique de la cellule et crée une dépolarisation qui entraîne l’entrée d’ions calcium (Ca2+) dans la cellule. Puis des neurotransmetteurs, contenue dans des vésicules, sont libérés à l’extérieur de la cellule et sont captés par des neurones qui transmettent alors un signal électrique au cerveau. Les cellules du goût retrouvent leur état initial après la sortie d’ions potassium (K+) par des canaux potassium.

Les acides créent des ions hydrogène (H+) lorsqu’ils sont en solution. Ces ions agissent sur les cellules gustatives de trois façons : ils entrent dans la cellule ; ils bloquent les canaux potassium (K+) des microvillosités ; ils se lient aux canaux des microvillosités qu’ils ouvrent, et laissent ainsi entrer des ions positifs dans la cellule. L’accumulation de charges positives qui en résulte dépolarise la cellule et entraîne la libération du neurotransmetteur.

Les aliments sucrés, tels le saccharose ou les édulcorants artificiels, n’entrent pas dans les cellules gustatives, mais modifient l’intérieur de la cellule. Ils se lient à des récepteurs de la cellule gustative couplés à des protéines G. Les sous-unités alpha, bêta et gamma de ces protéines se séparent et activent une enzyme proche. Celle-ci transforme une molécule précurseur en un second messager qui ferme les canaux potassium.

Les stimuli amers, telle la quinine, agissent aussi par l’intermédiaire des récepteurs couplés aux protéines G et des seconds messagers. Ici, sous l’action des seconds messagers, le réticulum endoplasmique libère des ions calcium. L’accumulation de ces ions provoque une dépolarisation des neurones et une libération du neuromédiateur.

Les acides aminés, tel le glutamate, à l’origine de la saveur umami, se lient à des récepteurs couplés à des protéines G et activent des seconds messagers. On n’a pas encore identifié toutes les étapes intermédiaires entre les seconds messagers et la libération du neurotransmetteur.

Une palette de saveurs

La saveur ne se résume pas à la simple juxtaposition de sensations perçues par quatre (ou cinq) types de récepteurs indépendants, chacun dévolu à un agent sapide primaire. Pour traduire l’information relative au goût, on parle en termes de sucré, salé, acide et amer, mais le goût relève de bien d’autres stimuli. Par exemple, nous ressentons l’intensité d’un goût, son caractère agréable, désagréable ou indifférent, la température et la texture des aliments. Les neurones gustatifs enregistrent simultanément toutes ces caractéristiques, de la même façon que le système visuel représente la forme, l’éclat, la couleur et le mouvement.

Les neurones gustatifs réagissent-ils spécifiquement à un agent sapide unique, tel le sel ou le sucre ? Ou bien participentils à l’élaboration de plusieurs saveurs ? Les neurones gustatifs centraux et périphériques réagissent à plusieurs classes de stimulus gustatifs. Bien que les neurones réagissent plus intensément à un agent sapide particulier, il sont souvent sensibles à divers stimuli gustatifs (voir le schéma : Les tests d’activité). Ainsi, le cerveau identifie des qualités gustatives variées à l’aide de combinaisons spécifiques de neurones activés.

Cette hypothèse avait déjà été émise, en 1940, par Carl Pfaffmann, de l’Université Brown. À l’aide d’études électrophysiologiques, il avait démontré que les neurones périphériques enregistrent tout un spectre de saveurs, et que la perception des saveurs résulte de l’activité de plusieurs neurones, puisque l’information de chaque neurone est ambiguë.

Cependant, dans les années 1970 et 1980, d’autres études avaient semblé montrer que des neurones spécifiques réagissaient de façon maximale à une saveur, c’est-àdire qu’un type de cellules représente une qualité gustative donnée. Selon cette nouvelle hypothèse, des neurones sensibles au sucre signalent au cerveau le sucré, ceux qui sont sensibles au sel signalent le salé, etc.

Cette idée allait de pair avec le « découpage » de la langue humaine en régions spécifiques de la détection des goûts. Sur cette « carte du goût », le sucré est détecté par les bourgeons gustatifs du bout de la langue, l’acide par des bourgeons localisés sur les côtés, l’amer par des bourgeons du fond et le salé par des bourgeons latéraux.

Ces cartes du goût résultent d’une interprétation erronée de résultats acquis à la fin du XIXe siècle; elles sont fausses, mais, depuis leur apparition au début du XXe siècle, elles persistent dans la littérature scientifique. En fait, toutes les qualités sapides sont perçues par toutes les régions de la langue, à condition que des bourgeons gustatifs y soient présents.

En 1983, nous avons montré que les neurones que l’on pensait dédiés à la détection spécifique du salé ou du sucré n’étaient plutôt que des éléments d’un réseau qui code l’information sous forme de profils d’activité. Ainsi, tous les neurones participent à l’élaboration du goût. De surcroît, la discrimination neuronale entre des stimulus différents dépend de l’activité simultanée de plusieurs types cellulaires, de la même façon que la vision des couleurs dépend de la comparaison de l’activité des récepteurs de l’œil. Nous en avons déduit que l’information gustative résulte de profils d’activité neuronale.

Les substances qui ont le même goût déclenchent des profils d’activité des neurones similaires. En comparant ces profils chez le hamster et chez le rat et en utilisant des méthodes statistiques, on a identifié des similitudes entre des profils activés par différents agents sapides : les résultats sont en accord avec d’autres résultats obtenus lors d’expériences comportementales, où l’on détermine les stimuli qui ont des saveurs identiques ou ceux dont les saveurs diffèrent. Ces travaux montrent que les profils d’activation suffisent pour distinguer tous les goûts.

Quand on bloque l’activité de certains groupes de neurones, on perturbe la reconnaissance des goûts. Par exemple, chez le rat, un traitement de la langue par l’amiloride, une molécule antidiurétique, inhibe les canaux à sodium des récepteurs gustatifs qui réagissent surtout au chlorure de sodium. Ce traitement supprime les différences entre les profils d’activité dus au chlorure de sodium et à son substitut le chlorure de potassium. La réduction de l’activité d’autres types cellulaires abolit également les différences entre les profils d’activité. Ces études montrent qu’un type cellulaire donné n’est pas responsable de la discrimination gustative, mais que celleci résulte de la comparaison de l’activité de groupes de cellules. Aussi la saveur dépend-elle de l’activité relative de différents types de neurones, dont chacun contribue au profil global de l’activité gustative.

Puisque les neurones gustatifs sont sensibles à une grande variété de saveurs, les neurobiologistes comparent les niveaux d’activité de groupes de neurones pour identifier la sensation enregistrée. Aucun type de neurone isolé ne différencie seul des stimuli variés, car une cellule donnée réagit parfois de la même façon à divers stimuli, selon leurs concentrations relatives. Ainsi, le goût ressemble à la vision : grâce à seulement trois types de récepteurs sensibles à une large gamme de longueurs d’onde, nous voyons les multiples couleurs de l’arc-en-ciel. L’absence de l’un de ces récepteurs perturbe la discrimination des couleurs bien au-delà des longueurs d’ondes auxquelles le type de récepteur manquant est sensible.

Toutefois, malgré l’analogie vraisemblable du goût et de la vision des couleurs, certains neurobiologistes se demandent encore si certains types de neurones jouent un rôle privilégié dans le codage des saveurs. Le goût serait-il un sens analytique, où chaque qualité gustative serait distincte, ou bien un sens synthétique, où une combinaison de stimuli constituerait une saveur unique ? Si l’on parvient à identifier la relation entre l’activité des neurones gustatifs peu spécifiques et les sensations suscitées par des mélanges de saveurs, on aura percé les secrets du codage neuronal dans le système gustatif.

Les différents travaux, de l’isolement des protéines réceptrices des cellules gustatives à l’étude de la perception neuronale des saveurs chez l’homme, précisent petit à petit le fonctionnement du goût. Les découvertes à venir constitueront des pistes pour la mise au point de nouveaux édulcorants et pour l’amélioration des substituts du sel et des graisses, c’est-à-dire pour la conception de nourritures et de boissons plus saines et néanmoins goûteuses.

La diversité des perceptions gustatives

Soutenue par des résultats d’études psychologiques, physiques et électrophysiologiques incompatibles avec l’hypothèse de quatre (ou cinq) « nerfs » gustatifs, l’idée d’une multitude de saveurs codées par des ensembles de neurones peu spécifiques s’impose aujourd’hui. L’hypothèse du codage de l’information par un ensemble de neurones peu spécifiques est solidement étayée. Ainsi, à chaque composé sapide correspond un ensemble particulier de récepteurs, et donc de neurones activés. Un ensemble différent de neurones signale la présence de composés distincts.

Par ailleurs, tous les êtres humains n’ont pas à la surface des cellules gustatives les mêmes protéines réceptrices : nous avons chacun un monde gustatif propre, de la même façon que nous avons des mondes olfactifs différents. Que ce soit pour le seuil de détection, l’intensité perçue ou la nature du goût, les différences entre les individus sont notables.

Bien que le vocabulaire adapté à leur description manque, les perceptions sont nuancées et nombreuses. Certes, on détecte des analogies entre deux substances sapides, par exemple les saveurs sucrées du glucose et du saccharose, mais, expérimentalement, on vérifie bien que notre sens gustatif distingue ces composés.

Hélas, nous n’avons que quatre (ou cinq) qualificatifs disponibles : acide, sucré, amer et salé (et umami ?) Aussi, le discours est-il limité face à la richesse et à la diversité des perceptions.

Quelles sont les zones corticales sollicitées par le goût ? L’identification de ces zones corrobore, d’une part, les données électrophysiologiques recueillies chez le singe, et d’autre part, les observations cliniques chez l’homme, tel le cerveau de soldats qui, après avoir reçu une balle dans la tête, avaient des déficits gustatifs. Les mêmes zones sont activées par les stimuli sapides et les stimuli tels le piquant, le chaud ou le froid... Cette observation confirme la convergence de toutes ces informations dans le cortex.

Toutefois, ces deux types d’information, qui correspondent à deux voies neuronales différentes, sont distinctes. Par ailleurs, nous avons montré que l’on se familiarise à des stimulus gustatifs. Une exposition à un stimuli gustatif, répétée de nombreuses fois pendant quatre jours (consécutifs ou non), augmente la sensibilité à ce stimulus, c’est-à-dire que l’activation corticale est modifiée pendant que la sensibilité des nerfs gustatifs est augmentée. Nos travaux en cours visent à comprendre les mécanismes de cette sensibilité accrue.