Médecine, santé et société

À propos d’Obésité...

Santé publique 23 Jan 2012

Obésité : un son de cloche qui (d)étonne !

Un centre de recherche britannique s’est récemment livré à une analyse des données issues de l’édition 2003 de l’Health Survey for England. Il se demande sur quoi repose la thèse d’une « rapide accélération » de l’obésité chez les enfants depuis le début des années 90.

Les conclusions du Social Issues Research Centre, le SIRC, prennent le contre-pied de messages délivrés par les autorités sanitaires britanniques quant à une « augmentation rapide » de l’obésité dans la population, du moins chez les plus jeunes. Ou, plus exactement, refusent le côté alarmiste des discours officiels. Les auteurs de l’étude trouvent en fait excessif de parler d’« épidémie » ou de « progression exponentielle ».

Des chiffres de l’enquête nationale sur la santé 2003 (diligentée par le ministère de la Santé), euxmêmes concluent qu’il n’y a pas eu de changement significatif dans le poids moyen des jeunes Britanniques entre 1995 et 2003. Ils affirment en outre que les statistiques ne montrent pas de détérioration de l’état de santé global des enfants; on n’observerait par exemple aucune augmentation sensible du nombre d’enfants atteints de maladies chroniques sur les 9 dernières années.

L’interdiction de la publicité sur la « junk food » sodas, sucreries, etc. -, visant les plus jeunes, ne serait pas, toujours d’après le SIRC, dirigée vers le bon groupe d’âge. Car le SIRC note que ce serait plutôt chez les adultes que les courbes de poids dessinent sur la décennie écoulée la tendance la plus inquiétante : 13,2 % d’hommes obèses en 1993, et 22,9 % en 2003 (avec une évolution de 16,4 % à 23,4 % chez les femmes).

Pour le SIRC, exagérer l’ampleur du phénomène et le dramatiser, et en outre se tromper de groupe cible, ne peut que nuire à l’efficacité des stratégies de santé publique.

On notera pour terminer que si le SIRC se présente lui-même comme une organisation indépendante, sans but lucratif, se concentrant sur la recherche sur des phénomènes de société, avec manifestement un intérêt particulier pour les questions de santé et d’alimentation, des firmes telles qu’HP-Danone, Kellogg’s, le « Sugar Bureau » britannique ou encore Cadbury Schweppes Plc., figurent au rang de ses sponsors. Ce qui laisse, comme toujours en pareil cas, planer une ombre sur l’indépendance de ses conclusions.

L’Europe se fait aussi grosse que l’Amérique !

L’évolution des tours de taille des européens préoccupait déjà les nutritionnistes et les sociologues dans les années 80. En ce temps là, on estimait que le surpoids toucherait 20 % des enfants en 2002. Le futur s’est aujourd’hui réalisé avec une petite longueur d’avance, puisqu’en 2002, un peu plus de 24 % des écoliers souffraient de problèmes de poids ou d’obésité. Déjà, les prévisions qui avaient été établies pour 2010 sont dépassées, comme le révèle une enquête du Groupe de travail international sur l’obésité (IOTF).

L’obésité gagne l’Europe à une vitesse accélérée et les États-Unis qui étaient regardés hier comme un miroir déformant qui ne devait jamais refléter la réalité européenne tendent à devenir un modèle bientôt dépassé. Ainsi, quand les Centres de contrôle des maladies américains indiquent que 15,3 % des enfants âgés de six à onze ans souffrent de surpoids, cette proportion a déjà été atteinte en Allemagne ou en Suisse, tandis que l’Italie connaît des chiffres très élevés avec 36 % des bambinos de neuf ans considérés comme « trop gros », une situation comparable à ce qui est observé à Malte ou en Grèce. Si les petites têtes blondes européennes sont déjà à l’heure américaine, les adultes ne sont pas non plus en reste. C’est ainsi que 38 % des Grecques sont touchées par le surpoids et l’obésité, quand seulement 34 % des Américaines sont concernées.

Les statistiques commentées hier à Bruxelles permettront à la France de lancer un nouveau petit cocorico. En effet, elle compte parmi les pays les moins touchés par le surpoids et l’obésité des plus jeunes (enfants de 7 à 11 ans) avec des taux oscillant entre 10 et 20 %, quand ils dépassent les 20 % en Grande-Bretagne, Irlande, Suède, Grèce et à Chypre. On remarquera que ce phénomène touche des pays faisant l’expérience de l’économie de marché depuis peu. Ainsi, en Pologne les progrès économiques ont rimé avec progrès des tours de taille : 8 % des enfants présentaient un surpoids en 1994, ils sont 18 % aujourd’hui.

Alors que la prise en charge de l’obésité représente déjà entre 2 à 8 % des dépenses de santé dans les pays de l’Union européenne, Bruxelles a choisi de réagir en organisant une concertation avec les géants de l’agroalimentaire représentés notamment par la Confédération des Industries AgroAlimentaires (CIAA) pour la mise en place de nouvelles réglementations et d’une meilleure information du public.

Les enfants américains vivront-ils moins longtemps que leurs parents ?

Dans les pays développés, l’espérance de vie progresse depuis près de deux cents ans. Les épidémies, les pandémies, les périodes de pénurie et les guerres ont pu créer des variations du taux de mortalité, mais cette augmentation de la longévité n’en reste pas moins la tendance phare des dernières décennies. Combien de temps durera cette heureuse évolution ? C’est la question que se posaient la semaine dernière dans le New England Journal of Medicine plusieurs mémédecins et scientifiques américains, qui précisaient qu’il ne s’agit pas seulement d’une question intéressant la recherche universitaire mais qui a des conséquences quant à la politique de santé publique mais aussi économique. Les prévisions du Social Security Administration (SSA) sont optimistes, selon elles, l’espérance de vie continuera à connaître une augmentation régulière aux États-Unis au cours de ce siècle. Selon les Centres de contrôle des maladies, l’espérance de vie est aujourd’hui outreAtlantique de 77,6 ans.

Les auteurs du New England Journal of Medicine qui rappellent combien les prévisions du SSA peuvent parfois être contestables sont pour leur part bien moins confiants. Ils estiment en effet que l’obésité qui a augmenté de 50 % tous les dix ans entre 1980 et 2000 et qui touche aujourd’hui 28 % des hommes et 34 % des femmes pourrait représenter un sévère coup d’arrêt à la belle progression de l’espérance de vie. Ces chercheurs des quatre coins des États-Unis ont estimé l’effet de l’obésité sur l’espérance de vie aux États-Unis en calculant la réduction du taux de mortalité obtenue si toutes les personnes souffrant actuellement d’obésité perdaient du poids afin de retrouver un Indice de masse corporelle (IMC) considéré comme normal, que les auteurs ont fixé à 24. L’étude a pu être réalisée grâce aux très précisées données de l’enquête Third National Health and Nutrition Examination Survey. Leurs savants calculs et statistiques leur ont permis de conclure que l’espérance de vie (à la naissance) pourrait être plus élevée de 0,33 à 0,93 année chez les hommes blancs, de 0,30 à 0,81 année chez les femmes blanches, de 0,30 à 1,08 année chez les hommes noirs et de 0,21 à 0,73 année chez les femmes noires si l’obésité n’existait pas. Si les taux de mortalité liés à l’obésité restaient constants, la réduction de l’espérance de vie aux États-Unis pourrait être d’un tiers à un quart d’ année. Les prévisions laissant supposer que la prévalence de l’obésité va s’aggravant, les auteurs assurent que de quelques mois la réduction de l’espérance de vie pourrait passer dans les décennies à venir à deux à cinq ans. Une terrible perspective qui conduit les auteurs à conclure que les jeunes d’aujourd’hui pourraient vivre moins longtemps en bonne santé, voire tout simplement moins longtemps, que leurs parents.

À l’heure, où de récentes statistiques révèlent que le fléau de l’obésité frappe aussi durement l’ Europe que l’Amérique, ces estimations se révèlent particulièrement inquiétantes pour les autorités sanitaires européennes.

Une proposition de loi tente de mettre son poids dans la balance

La grande majorité des lois promulguées chaque année naît de projets de lois, c’est-à-dire de textes déposés par le gouvernement à l’Assemblée nationale et au Sénat. Plus rarement, les propositions de loi, c’est-à-dire les textes présentés par les députés eux-mêmes font mouche. Aussi, s’il fallait ne reconnaître qu’une seule qualité à la proposition déposée par le député socialiste et médecin Jean-Marie

Le Guen, ce serait celle de révéler comment les parlementaires savent, quand le pouvoir exécutif semble plus discret, prendre la mesure de certains problèmes qui affaiblissent grandement notre société et la vie de nos contemporains.

L’obésité est un fléau auquel la France ne s’est pas encore attaquée frontalement, si l’on exclut quelques amendements apposés à diverses lois de santé publique, qui ont été l’objet, du reste, de nombreux revirements. Le second mérite de la proposition de Jean-Marie Le Guen est clair : pour la première fois un texte de loi choisit de ne s’intéresser qu’à cette seule et grave question. Composé d’une trentaine d’articles, le texte a été signé par plus de quatrevingts députés socialistes. Inventaire à la Prévert de mesures simples pour lutter contre l’obésité, le texte récupère quelques idées déjà énoncées pour leur donner un caractère enfin obligatoire. Ainsi, quand un précédent programme développé par JeanFrançois Mattei exhortait les Français à pratiquer une activité physique modérée d’une demi-heure par jour, le texte de Jean-Marie Le Guen préconise d’imposer dans tous les programmes scolaires trente minutes quotidiennes de sport pour chaque enfant.

De même, alors que la question de la suppression des distributeurs de boisson et de barres chocolatées s’est posée non sans polémique, le texte de Le Guen imposerait sans circonlocution l’installation d’une fontaine d’eau potable et gratuite dans chaque établissement.

Quand l’Europe assure travailler avec l’industrie agroalimentaire quant aux réformes à adopter concernant la publicité vantant les produits à hauts taux caloriques ou les informations devant figurer sur les étiquettes, Jean-Marie Le Guen a déjà ses solutions. Non seulement les industriels se devront d’ indiquer très clairement le menu qu’ils proposent, mais surtout, au cas où la composition du produit apparaîtrait assez peu nutritive et trop nourrissante, le ministère de la Santé pourrait imposer au fabricant d’apposer un message de prévention sanitaire ou même interdire la publicité de ce mets ! Ces propositions, bien moins consensuelles que celles concernant la prévention de l’obésité infantile, devraient freiner l’adoption d’un texte, qui a pourtant le mérite non seulement de proposer des mesures simples et strictes mais aussi de s’attaquer aux différentes facettes du problème de l’obésité. Des mesures destinées à lutter contre la discrimination dont sont l’objet les personnes obèses sont en effet envisagées ; il pourrait s’agir notamment de prévoir dans les transports des places spécialement réservées aux personnes souffrant de grave surpoids.

The « Big » fléau

Cela fait des années que le spectre de l’obésité plane sur les pays industrialisés. L’information et les prises en charge semblent des gouttes d’eau dans l’océan de ce fléau qui ne cesse de s’étendre et d’alarmer les professionnels de la santé.

La transition nutritionnelle

Lors de la seconde édition du congrès EGEA, l’intervention du professeur Drewnowski du Centre de Santé Publique de l’Université de Washington a particulièrement retenu l’attention. Il a présenté une nouvelle théorie sur l’escalade mondiale de l’obésité : la transition nutritionnelle. En résumé, manger gras et sucré ne coûte pas cher; alors, beaucoup d’entre nous, mangent gras et sucré. Son développement peut se résumer en quatre constatations.

Première constatation :
ce sont les milieux socioculturels défavorisés, c’est-à-dire ceux dont les revenus et le niveau d’instruction sont les plus bas, qui détiennent le record du nombre d’obèses et ceci tant aux États-Unis qu’en Europe.
Deuxième constatation :
la densité énergétique d’ un aliment est inversement proportionnelle à son coût. En d’autres termes, plus l’aliment est riche, moins il est onéreux. Ainsi, manger des chips, du chocolat ou des produits raffinés, trop sucrés et gras fournit plus de kilocalories par gramme et à moindre coût que des aliments plus sains : produits laitiers, fruits, légumes. Concrètement, avec un Euro, vous pouvez manger 1 200 kcal de chips ou de biscuits, boire 875 kcal de sodas mais à contrario, seulement 250 kcal de carottes ou 170 kcal de jus d’oranges. Plus inquiétant, si en 1977, les aliments poubelles représentaient 18,1 % des apports énergétiques quotidiens des Américains ; ils sont passés en 1996, à 27,7 %.
Troisième constatation :
nous sommes naturellement attirés et cela dès notre plus jeune âge, par les aliments au goût sucré et gras ; du fait de leur haute palatabilité.
Quatrième constatation :
manger sain et équilibré coûte plus cher que manger mal. Selon la U.K. Women’s Cohort Study (étude observationnelle sur une population de 15 191 femmes de 35 à 69 ans), l’équilibre alimentaire se chiffre à 1 000 dollars de plus par an.

Et si, certaines personnes étaient réticentes à changer leurs habitudes alimentaires non pas par manque de motivation ou par manque d’informations, mais tout simplement par manque de moyens ?

Impasse thérapeutique ?

L’obésité reste dans l’impasse thérapeutique, en dépit de la multiplication des axes de recherche et des progrès décisifs accomplis dans son approche pathogénique. Les idées originales sont au rendezvous, comme en témoigne une étude expérimentale. Celle-ci fait état de résultats spectaculaires obtenus chez la souris ob/ob, atteinte d’un déficit en leptine et d’une surabondance de graisse blanche.

Le nouveau traitement anti-obésité proposé s’inspire conceptuellement de certaines analogies entre la prolifération des cellules tumorales et adipeuses. L’angiogenèse joue un rôle capital dans le développement et la progression des tumeurs malignes. Certains médicaments antitumoraux sont d’ ailleurs des inhibiteurs de l’angiogenèse et cette classe pharmacologique connaît un succès croissant en oncologie. Certes, la graisse blanche n’est pas stricto sensu un tissu tumoral, mais elle n’en possède pas moins une aptitude extraordinaire à proliférer rapidement. En outre, sur le plan histologique, le tissu adipeux apparaît richement vascularisé : chaque adipocyte est en contact avec une multitude de capillaires et, de facto, il semble que le facteur vasculaire joue un rôle important dans le maintien de la masse tissulaire. D’ailleurs, l’inhibition non spécifique de l’angiogenèse peut prévenir l’obésité chez la souris. Ces notions sont les bases conceptuelles d’une nouvelle approche thérapeutique de l’obésité.

Concrètement, un motif peptidique CKGGRAKDC, isolé à partir d’une bibliothèque de phages, s’avère capable de se fixer sur les vaisseaux de la graisse blanche par internalisation au sein de l’endothélium. Le récepteur vasculaire a été identifié par chromatographie d’affinité: il s’agit d’une protéine membranaire multifonctionnelle, la prohibitine qui peut être considérée comme un marqueur du tissu adipeux.

Le motif peptidique précédent a été combiné à un peptide proapoptotique pour aboutir à une molécule chimérique. Son administration chez les souris ob/ob conduit rapidement à une véritable ablation quasi-chirurgicale du tissu adipeux excédentaire et une normalisation de toutes les perturbations métaboliques, sans entraîner d’effets indésirables. La souris atteinte d’une obésité monstrueuse se transforme en sylphide.

La prohibitine est exprimée au sein des vaisseaux de la graisse blanche chez l’homme. Une voie thérapeutique nouvelle, de fait révolutionnaire, s’ouvre ainsi, au moins d’un point de vue conceptuel. La mise en pratique de ce nouveau traitement anti-obésité va se heurter aux problèmes que pose l’utilisation des agents proapoptotiques et des molécules chimériques chez l’homme, mais la brèche est ouverte et tous les espoirs sont permis.

Et si la pollution faisait grossir ?

La pollution automobile pourrait représenter un facteur d’obésité. Cette conclusion provient d’une étude française, montrant qu’une exposition aux produits de combustion incomplète, équivalente à celle détectée à cent mètres d’une autoroute, peut faire grossir un adulte de 2 kilos en 15 jours...

Les hydrocarbures aromatiques polycycliques, tels que le benzo(a)pyrène ou la dioxine, sont des polluants issus de combustions incomplètes, produits notamment par la pollution automobile et certaines industries.

Dès 1983, un lien entre l’indice de masse corporelle et la présence de ces polluants a été suggéré. Depuis 1999, l’équipe de Luc Mejean (Inserm U 308, Nancy) mène des travaux de recherche sur l’effet des polluants sur les cellules graisseuses.

C’est ainsi que son équipe a pu constater que les polluants étaient capables d’entrer, avec les acides gras (lipides), dans les adipocytes (ou cellules graisseuses). En revanche, il semblerait que les polluants empêchent la sortie des lipides contenus dans les adipocytes.

Après injection de polluants chez la souris, c’est effectivement ce qu’on observe. Et ce phénomène s’accompagne d’une augmentation significative de la prise de poids, sans modification alimentaire. Cet effet est réversible puisque les souris ont retrouvé leur poids initial quinze jours après l’arrêt de l’exposition aux polluants.

Par extrapolation chez l’homme, cette prise de poids correspondrait à environ 2 kilos pour des personnes exposées à un niveau de polluants cent fois plus faible, mais équivalente à celle qu’on détecte à cent mètres d’une autoroute.

En conclusion, les polluants issus de combustion incomplète perturbent la capacité des cellules graisseuses à mobiliser les lipides, ce qui se traduit par une prise de poids conséquente.

Les recherches doivent se poursuivre afin de confirmer ces données préliminaires. Parallèlement, des études épidémiologiques doivent être mises en place, notamment chez les personnes particulièrement exposées aux hydrocarbures aromatiques polycycliques, c’est-à-dire vivant à côté d’une autoroute, d’une usine d’incinération ou d’une usine polluante.